Il n’a pu s’en empêcher : François Hollande, en chef de guerre, a effectué une visite triomphale à Tombouctou et à Bamako, trois semaines après le déclenchement de l’occupation militaire française, qui — avec ses 4 600 soldats (dont 1 100 sur les bases de soutien de Dakar et N’Djamena) — dépassait déjà, au 31 janvier, ce qu’a été le plus fort de l’engagement en Afghanistan (4 000 hommes, fin 2011).
C’est dire si l’Elysée a « mis le paquet » dans cette opération. Elle a remporté facilement la « victoire » avec une offensive-éclair, en terrain connu, avec pas de combat, sans ennemi visible, sans images et sans bilan des pertes et destructions : une sorte de « rallye Paris-Dakar à l’envers ». Et pour l’essentiel, jusqu’ici, même si nécessité a fait loi, une « affaire de Blancs " à l'entrainement dans le désert !
Chacun a noté le langage martial utilisé par François Hollande et son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, pour qui l'occupation du Mali a pour justificatif la menace invisible des mercenaires djihadistes, qualifiés pour la cause de terroristes, pour la sécurité de la France et de l’Europe. Le gouvernement socialiste a donc ses faucons [1]. Et il ne craint pas d’user d’une réthorique mise en forme par George W. Bush. Obama l’avait pourtant abandonnée, prétextant qu’il était « stupide de faire la guerre à un mode d’action ». [2]
Cette appellation globalisante érige toute une catégorie en ennemie (les touaregs confondus avec les djihadistes), et ne permet pas d’opérer la distinction entre les forces combattantes. Cela va donc rendre plus difficiles les négociations qui ne manqueront pas de s’ouvrir avec certains d’entre eux, un jour ou l’autre. [3] Mais telles sont les limites aujourd'hui de l'intelligence de ceux qui font de telles guerres.
La « vocation à ne pas rester au Mali » a été maintes fois rappelée par les gouvernants français, mais reste assez élastique. Les mêmes invoquent désormais les impératifs d’une « stabilisation durable » ou d’une « sécurisation suffisante » du territoire pour justifier l'occupation des troupes françaises. De fait, pour profiter de leur avantage, les forces françaises ont poussé jusqu’au Nord, à Kidal, en pays touareg — là où il n’était pas question d’aller, puisque c’était la tâche réservée aux armées malienne et africaines.
Pourvu, se disait-on, que le président Hollande n’en profite pas pour aller cueillir sur place les fruits de « sa » guerre, paradant au milieu de la foule malienne agitant des drapeaux tricolores… Là même où, il y a quelques semaines encore, on maugréait contre une France aux frontières trop fermées, soupçonnée en outre de faire les yeux doux aux combattants du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et de n’entrevoir le Mali qu’à travers la geste romanesque des touareg, les beaux « hommes bleus ». Mais donc, c’est raté ...
« Nous partirons rapidement » déclarait ces derniers jours Laurent Fabius dont les pronostics paramilitaires ont souvent été déjoués. D’autres estiment que les militaires français occuperont le Mali au moins jusqu’en juillet — date à laquelle des élections pourraient être organisées, ou jusqu’à la fin de la saison des pluies (août-septembre), lorsqu’une opération de « nettoyage » des massifs montagneux du Nord pourra être lancée par les armées malienne et africaines, éventuellement sous « mentoring » français. Mais pour nettoyer quoi ? Personne ne le sait !
Longues distances, axes bien dégagés, espaces vides. Avec des véhicules et du carburant, on peut aller vite : les soldats français l'ont fait, d'autant plus facilement qu'il n'y avait pas d'ennemi. D’où cette sensation de « non-guerre », l’ennemi s’étant fait porter pâle… et restant sans doute imbattable pour ce qui est de la vitesse et de la connaissance des pistes. Mais « l’autre guerre » commence nous dit-on: celle qui consistera à « sécuriser » la douzaine de villes du Nord mais également l’ensemble des villages, des campements, et surtout les parages désolés du massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas ou encore de la forêt de Ouagadou (proche de la Mauritanie), où a pu se replier l'ennemi invisible. Reste un désert de 220 000 kilomètres carrés à contrôler grain de sable par grain de sable.
Les « forces spéciales » enfin au boulot. Ces mystérieuses unités ont la faveur des gouvernants, en France comme dans l’ensemble des pays industrialisés. Elles sont le fer de lance des armées. Spécialistes du renseignement « dans la profondeur », de « l’entrée en premier », de « l’ouverture des théâtres », des actions commando. Des unités aguerries, motivées, super-équipées, et nimbées de secret : pas d’images, pas d’identité, des méthodes de travail parfois contestables… Leur sélection et leur entretien coûtent très cher, alors que leurs effectifs sont limités. Pourtant, leur utilisation semble bien pratique. Il aurait été décidé que les sites miniers d’Areva au Niger — là où cinq des actuels otages du Sahel ont été capturés — seront désormais protégés par des commandos des forces spéciales françaises, à charge pour la compagnie minière d’en régler les frais. Nous voilà donc au fond de l'affaire. Comme le dit si bien, Anne Romanof "on nous dit pas tout !" Mais la vérité surgit toujours un jour ou l'autre !
Les armées africaines n’ont pas les moyens de se payer l’équivalent des « forces spéciales » occidentales : accaparées par les soucis de vie (ou de survie) quotidienne, souvent mal commandées, davantage tournées vers l’ennemi intérieur, etc. La Mission internationale de soutien au Mali (Misma), dont le « concept » avait été adopté par la Cedeao, était loin d’être opérationnelle début janvier 2013 — ce qui a incité l'Elysée a lancer l'occupation en urgence sans l'aval de l'ONU et sans débat au parlement français.
Neuf Etats ouest-africains ont promis des troupes et accéléré leur mise en route. Toutefois, pour les acheminer sur le terrain, ils ont dû utiliser des avions américains, britanniques, espagnols et allemands. En outre, leurs qualités militaires sont très diverses par rapport au terrain : peu évidentes pour les Nigérians, Togolais, Béninois, qui viennent de zones tropicales ; plus convaincantes du côté des Nigériens, Burkinabes et surtout Tchadiens, qui ont une culture des zones extensives et désertiques. Enfin voilà des hommes occupés à faire quelque chose !
La reconstruction de l’armée malienne s’ébauche, pour le moment, en cavalant aux côtés des militaires français, qui ont redonné des couleurs et de l’énergie à ceux de leurs 2000 collègues maliens engagés au Nord. Mais les Français ont dû « mentorer » [4] des forces maliennes au moral dans les chaussettes. Cette scène à l’entrée de Gao l’illustre bien : quelques heures après un « ratissage » de la ville, un officier des forces spéciales françaises, au visage dissimulé, s’approche d’un colonel malien, appelé à prendre le commandement sur place : « La ville est à vous, mon colonel », lui dit le militaire français. L’ensemble de la chaîne de commandement de l’armée malienne est ainsi à revoir ; elle est d’ailleurs doublée d’une chaîne clandestine, composée des partisans du capitaine Sanogo, l’auteur du putsch de mars 2012 et dont on ne sait plus le rôle qu'il joue!
La mission européenne EUTM-Mali devrait former quatre bataillons de la nouvelle armée malienne, soit cinq mille hommes. Elle a tardé à se mettre en place et son timing a été bousculé par l'occupation éclair de l'armée française. Un élément précurseur pourrait être déployé sur le terrain à partir de la mi-février et serait chargé d’expertiser la chaîne de commandement. A terme, l’opération de l’Union européenne (dont la France est la « nation-cadre ») devrait mobiliser quatre cents cinquante à cinq cents militaires... Déjà, la multiplication des acteurs — dans le domaine particulier de la formation, comme dans celui des opérations — fait redouter une dispersion ou une difficulté de coordination, avec autant de commandements spécifiques.
Un règlement politique de la question du Nord est-il en vue ? Tout en affectant de ne pas y toucher (c’est l’affaire des Maliens), le gouvernement français (par la voix de Le Drian, par exemple) affirme que le MNLA ou d’autres, pour passer du statut d’ennemi à partenaire politique, devront se prononcer clairement au préalable contre le terrorisme et abandonner toute velléité de scission du Mali. Le pouvoir transitoire malien vient de faire une ouverture, tandis que le Parlement adoptait une « feuille de route » politique pour l’après-guerre. Mais les institutions actuelles manquent de crédibilité. Sans doute faudra-t-il attendre les élections. En attendant, le MNLA (mouvement nationaliste touareg, sans connotation religieuse) sera-t-il associé à la sécurisation des zones occupées, notamment dans son ex-fief de la région de Kidal. Là est bien la question.
Longtemps annoncés, souhaités par certains, redoutés par d’autres, les drones américains ont mis du temps à se déployer. Ce sera chose faite dans quelques jours, le Niger ayant accepté lundi dernier d’héberger à Agadez, au nord du pays, une base de drones, dont les moyens — des Predator, pour le moment non-armés, paraît-il — seront sans doute prélevés sur ceux actuellement déployés à Djibouti. En outre, un drone d’observation de haute altitude et à longue endurance, Global Hawk, a patrouillé ces derniers jours au nord du Mali.
On rase gratis ?. Une enveloppe spéciale est destinée au financement des opérations extérieures, comme celle de l’équipée malienne. Une cinquantaine de millions d’euros ont été consommés, essentiellement en frais logistiques. Les frappes aériennes ont été très peu nombreuses, et les tirs au sol aussi : la guerre-éclair aura au moins été génératrice de quelques économies en ce domaine… Pour autant, il faudra provisionner les primes des quatre mille soldats, qui doublent leur paie en « opex » et additionner les heures de vols et de maintenance de la centaine d’aéronefs mobilisés.
40 millions d’euros seraient réservés pour la constitution, l’acheminement et le fonctionnement de la Misma et pour le matériel destiné au Mali, « pour un peu moins de 7 millions d’euros », selon Laurent Fabius. Quant à l’Union européenne, à défaut d’agir, elle finance beaucoup : 172 millions au titre de l’urgence humanitaire, 50 millions pour la Misma, qui s’ajoutent aux 660 millions affectés ces cinq dernières années à des projets de développement dans la région du Sahel, mais aussi aux 167 millions consacrés aux questions sécuritaires (armée, police, justice, etc). Sans oublier le financement de l’opération de formation EUTM-Mali.
Cela fait beaucoup pour si peu...à moins que le vrai motif de cette occupation soit la sécurité des groupes modiaux qui vont pouvoir continuer à piller le Mali, le Niger, la Mauritanie et bien d'autres pays aux fabuleuses réserves de leurs sous-sols.
Alors dans ce cas les comptes ne sont plus les mêmes. Que pèse 1 milliard d'euros pour sécuriser les pays étrangers face à plusieurs tonnes d'uranium, de bauxite, d'or ou face à plusieurs millions de barils de pétrole exploitables dans peu de temps dans le Sahel. Poser la question s'est y répondre.
Espérons que les multinationales ne continueront pas à encaisser de fabuleux dividendes alors que les peuples vivent dans le dénuement le plus complet !
Le 19 février 2013