Derrière le coût du capital : une Bastille à prendre
Le patronat convoque le coût du travail comme cause de la perte de compétitivité des entreprises et
justifie ainsi le gel des salaires et la baisse des cotisations sociales patronales.
Pourtant la plus grosse charge subie par les entreprises est le coût du capital. Il est deux fois
plus élevé que le coût du travail. Cette ampleur révèle un problème majeur : la domination du capital financier sur toute l’économie et, partant, sur la vie de tous.
Il est indispensable de se libérer de cette domination. C'est un défi de société et même de
civilisation : celui de la maîtrise de l'argent et du capital, pour tirer parti de son efficacité afin de développer toutes les capacités humaines.
Coût du capital : le double des cotisations sociales employeur des
entreprises
Ce que l'on appelle le coût du travail c'est la somme des salaires et des cotisations sociales employeur
appelées par le MEDEF « charges sociales ». Il est sans cesse dénoncé comme trop élevé par les patrons qui en font la cause essentielle des pertes réelles ou supposées de compétitivité.
Ainsi, en même temps qu'ils s’acharnent à geler les salaires, ils ne cessent d'exiger des baisses de « charges sociales ».
Mais les entreprises subissent des coûts du capital considérables qui sont autant de prélèvements sur les
richesses nouvelles qu'elles produisent (valeur ajoutée) et dont l’effet est de plus en plus parasitaire.
Ce coût du capital c'est la somme des dividendes qu’elles versent aux actionnaires et des charges d'intérêts
qu'elles payent aux banques sur leurs crédits. Il représente environ le double de leurs cotisations sociales employeurs effectivement versées (chiffres INSEE de 2013 pour l’année 2012, Comptes de
la nation) : 298,9 Md€ contre 157,9 Md€.
Quels sont les coûts supportés par les entreprises ?
Les entreprises supportent en effet différentes dépenses, qui constituent autant de coûts. De façon schématique on peut distinguer
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leurs achats de matières premières, de produits semi-finis et de services
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les salaires qu’elles paient (y compris cotisations sociales salariales)
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les cotisations sociales employeur
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les dividendes qu’elles versent aux actionnaires (parfois entre elles)
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les intérêts qu’elles paient aux banques
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les amortissements du capital, comptabilisé comme un coût qui anticipe les dépenses futures d’investissement
en capital
Derrière le coût du capital, la domination du capital financier
Il s’agit d’un prélèvement sur toute la richesse créée, au bénéfice des banques et des actionnaires. Bien
supérieur, par exemple à l’investissement matériel des entreprises (197,4 Md€ en 2012).
Cette ampleur révèle un problème majeur : la domination du capital financier sur toute l’économie et,
partant, sur la vie de tous, du chômeur au cadre, en passant par les précaires, les ouvriers, les enseignants ou les infirmières, les étudiants ou les retraités.
Cette domination du capital financier s’exerce par ses pouvoirs, permettant ses prélèvements, et par sa logique,
la recherche de rentabilité à tout prix et toujours accrue. C’est à dire l’accumulation du capital avant tout, au mépris des êtres humains et de la nature. A travers ses pouvoirs, le capital
impose ses propres buts !
Entreprises : Coût (direct) du capital financier et Cotisations sociales employeurs
Source : Insee Comptes nationaux, 2012 (publiés en mai 2013)
Champ : sociétés non financières (hors banques, assurances et entreprises
individuelles)
Coût du capital = dividendes et frais financiers (bancaires..) payés par les entreprises
Cotisations sociales = cotisations sociales employeurs effectives
Derrière cette domination les exigences de rentabilité et
d’accumulation
Il y a en réalité bien d’autres coûts du capital. En particulier, l’obsolescence accélérée des équipements
productifs et des produits pousse à renouveler le capital beaucoup plus vite. Par exemple tous les 3 ans au lieu de tous les 5 ans, et donc, pour servir le capital, il pousse à prélever sur la
valeur ajoutée produite 33% de sa valeur chaque année (renouvellement à 100 % en 3 ans), au lieu de 20% (renouvellement en 5 ans). Les paradis fiscaux participent, bien évidemment de ce
puzzle que de nombreux économistes hétérodoxes de différentes traditions (keynésiens, marxistes, post -keynésiens, institutionnalistes, etc.) commencent à dénoncer.
L'ampleur des prélèvements du capital a de lourdes conséquences pratiques. Elle s’oppose aux dépenses pour
l’emploi, les qualifications ou pour la R&D et l’innovation, l’efficacité réelle. Ces pouvoirs exorbitants du capital financier sont une composante majeure de ce que tous perçoivent comme
« une impuissance grandissante de la politique ». Il s'agit de reprendre du pouvoir là-dessus.
Au-delà des entreprises, on pourrait aussi parler des banques avec les prélèvements que les actionnaires
effectuent sur elles et qu’elles répercutent sur leur clientèle.
On pourrait aussi parler de l’État et de toutes les administrations publiques (locales, de santé ou de sécurité
sociale) sur lequel le capital effectue aussi un énorme prélèvement.
Un seul chiffre : en 2012 l’État a versé 48,8 Md€ aux marchés financiers en seules charges d’intérêt
(source France Trésor). C’est l’équivalent du budget de l’éducation nationale pour nourrir les marchés financiers. Avec un financement à taux zéro, par la BCE, ce poste disparaît.
S'en libérer, un enjeu majeur de notre temps
Il est indispensable de se libérer de cette domination. C'est un défi de société et même de civilisation :
celui de la maîtrise de l'argent et du capital, pour tirer parti de son efficacité afin de développer toutes les capacités humaines et non pour qu'il asservisse chaque jour toujours plus salariés
et populations.
Pour cela, il faut agir de deux façons : pénaliser et inciter en visant une autre logique de développement.
D’une part une action négative (pénalisation) : faire reculer ces prélèvements (taxation, abaissement des intérêts bancaires, etc.) ; d’autre part une action positive (incitation) en
favorisant des dépenses de développement du potentiel d’efficacité sociale (développement et sécurisation de l'emploi, qualifications, R&D) et les investissements économes en capital.
C’est à dire en aval sur les résultats de toutes ces prédations, mais aussi en amont en promouvant une tout
autre logique d’efficacité. Tout particulièrement :
- Par le biais d’un nouveau crédit bancaire, porteur d’une autre sélectivité, avec un tout autre rôle de la BPI et, surtout, de la BCE,
- Par un autre comportement des entreprises (notamment les entreprises publiques dont il faut étendre le champ
et changer les critères de gestion)
- Par un tout autre rôle de l’État et de ses aides publiques.
- Et, au-delà, avec de nouvelles institutions publiques et sociales, à tous les niveaux, pour examiner et suivre
les coûts et l'utilisation des fonds versés aux entreprises, institutions qui seraient appuyées par les services publics. Il s'agit d’amorcer un nouvel âge de la démocratie. Ce qui implique de
nouveaux pouvoirs des salariés et des populations.
En matière de retraite, il en est de même. Nous proposons, d'une part, que les revenus financiers des
entreprises cotisent au même taux que les salaires (ce qui incitera à rechercher de moins en moins ces revenus) et, d'autre part, de favoriser l'engagement des entreprises dans une dynamique de
développement de l'efficacité par l'essor des capacités humaines, de l'emploi et de la formation (ce qui a pour effet de pousser la base salaire de ces cotisations).
Il s'agirait, en pratique, de moduler les cotisations sociales de façon à faire payer à un taux plus élevé les
entreprises qui suppriment des emplois ou qui baissent la part des salaires et des dépenses de formation dans leur valeur ajoutée produite.
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