Le rapport du député des Bouches-du-Rhône Dominique Tian sur l'ampleur des fraudes sociales en France, dont les grandes lignes ont été dévoilées par l'AFP, marque le début d'une offensive de la majorité. Le sujet n'est pas nouveau, et au moment où une cure d'austérité se prépare, il est de bon ton de trouver de nouveaux bouc émissaires pour faire passer la pilule.
Il y a les Roms, les fonctionnaires, les immigrés, les chômeurs, les cheveux blancs et il y a maintenant les fraudeurs. Du moins les soit disants fraudeurs. Déjà évoqué à de nombreuses reprises depuis 2007, ce sujet touche l'électorat populaire.
Mais malheureusement pour la droite, l'UMP et Sarkozy et d'autres, les postulats comme les constats du rapport sont très discutables. Les premeirs fraudeurs ne sont pas ceux à qui l'on pense apriori. Ce sont les entreprises ou les patrons qui, en volume comme en taux commettent le plus de fraudes.
Les particuliers le sont à la marge, et pourtant ce ne sont pas les entreprises qui sont les premières ciblées par les mesures de lutte proposées dans le rapport, mais les particuliers. Il fallait trouver le bouc émissaire et bien c'est fait! Et surtout chutttttt sur les patrons!
- Des chiffres à prendre avec précaution
Les chiffres choc annoncés par ce rapport sont à prendre avec du recul : M. Tian estime que "la fraude sociale représente près de 20 milliards d'euros, soit 44 fois plus que la fraude actuellement détectée".
Soit aussi l'équivalent du coût de l'évasion fiscale ou du déficit de la sécurité sociale. Mais ce chiffre est une estimation réalisée à partir de taux déduits des 28 auditions et 6 déplacements en région de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Meccs), que préside le député. Ce n'est pas une donnée. D'autres évaluations, notamment celle de la Cour des comptes, évoquent plutôt 10 à 15 milliards d'euros globalement. Mais peu importe à la rigueur, l'essentiel est que c'est important en période d'austérité!
- Les entreprises sont les plus concernéesLe terme de "fraude sociale", qui pourrait sembler n'évoquer que les cas de "triche" des particuliers, recouvre en fait à la fois les fraudes aux prestations sociales (RSA, allocations familiales, etc) et les fraudes aux cotisations sociales que doivent régler les entreprises.
Or les deux sont sans commune mesure : la fraude aux prélévements, qui inclut le manque à gagner dû au travail au noir, représente, selon ce rapport, entre 8 et 15 milliards d'euros, contre 2 à 3 milliards pour la fraude aux prestations sociales.
D'après M. Tian, "entre 10 et 12 % des entreprises sont en infraction et 5 % à 7 % des salariés ne sont pas déclarés". Côté particuliers, le député évalue, sans justifier son calcul, la fraude à 1 % des allocataires. La Cour des comptes évoque plutôt le chiffre de 0,77 % pour 2008. Tant sur les taux que sur les montants, ce sont donc bien les entreprises qui se révèlent les plus concernées par la fraude. Il n'y a pas photo!
- Peu de mesures de lutte à destination des entreprises
Pourtant, les propositions formulées par le rapport se concentrent essentiellement sur les particuliers. Le député évoque ainsi la mise en place d'une carte vitale biométrique, la diminution des téléprocédures pour rétablir le face-à-face lors de la constitution de dossiers ou encore le contrôle accru des arrêts maladie avec contre-visites à domicile à l'initiative de l'employeur.
Pour les entreprises, il se penche essentiellement sur le travail au noir, avec une procédure de "flagrance sociale" ou la création d'un fichier des dirigeants ayant fait l'objet d'une condamnation leur interdisant de gérer une société. Il y a bien deux poids deux mesures. Le salarié honnête est accusé d'être fraudeur et l'entreprise qui fraude serait honnête car que voulez-vous les pauvres patrons avec ce qu'ils paient comme cotisations sociales! C'est trop lourd et justifierait leur fraude!
- Des fraudes qui n'ont pas la même ampleur
Dans un rapport daté de septembre 2010 et consacré à la fraude, la Cour des comptes évoquait le cas particulier de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), qui a fait l'objet, en 2009, d'une évaluation précise à partir d'un échantillon de 10 000 dossiers.
La fraude aux prestations atteindrait, d'après cette étude, 675 millions d'euros par an. Mais elle touche de manière très inégale les différentes prestations : la Cour évalue ainsi à 0,46 % des allocataires la fraude aux allocations familiales, à 0,24 % la fraude à la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). L'allocation parent isolé (API) ou le revenu de solidarité active (RSA) afficheraient des taux plus importants, de l'ordre respectivement de 3,1 % et 3,6 %.
Ces faibles chiffres sont encore rapporter aux 10 % à 12 % estimés d'entreprises fraudeuses.
- La récupération des sommes non mentionnée
Le rapport parle des manques à gagner dus à la fraude mais fait l'impasse sur un point pourtant essentiel : la récupération de ces sommes. Et pour cause, les patrons devraient passer à la caisse. Mais avec le président des riches pas question!
Dans son rapport de 2010, la Cour des comptes précise ainsi que pour la CNAF, le montant de 675 millions d'euros de fraude est à relativiser : une "part importante de ces montants (...) aurait été détectée et les indus correspondants récupérés pour la plus grande part. Le préjudice financier final lié aux fraudes serait donc plus limité, de l'ordre de 170 millions d'euros".
Le président de la CNAF, Jean-Louis Deroussen, avait pris position en avril 2010 sur la question, expliquant que ses services récupéraient "quasiment 90 %" des montants des fraudes. De fait, les efforts de la majorité sur ces questions de "triche" ont conduit à une augmentation des détections et donc des sommes récupérées : 458 millions pour 2010, selon Xavier Bertrand, le ministre du travail.
- Fraudes ou erreurs ?
Autre question, celle de l'intentionnalité des fraudes : à partir de quand peut-on parler d'une volonté délibérée de toucher une allocation indue plutôt que d'une mauvaise déclaration ou d'un changement de statut envoyé en retard ? La question est difficile à trancher. Sur 60 milliards de prestations versées en 2009, le président de la CNAF estimait que la fraude délibérée représentait "environ 80 millions d'euros", soit 0,13 % du total.
Pourtant chaque patron est censé connaître la loi! Mais la aussi on est près à fermer les yeux.
Le 23 juin 2011