Modifier nos grilles de lecture des conflits
En décidant d’entrer en guerre dans le Nord Mali avec des bombardements, puis en débarquant
des troupes au sol pour appuyer l'armée malienne, Hollande a agi seul, sans mandat de l’ONU mais avec pour prétexte de donner une réponse positive à la demande de l’Etat malien d’une intervention
française face aux rebelles Touaregs et djihadistes qui occupent le nord Mali et menaçaient le sud du pays.
La France est isolée, comme le fut
la feu URSS quand elle intervint en Afghanistan à la demande des autorités afghanes qui faisaient face à l’entreprise de déstabilisation des féodaux qui refusaient de reconnaître la
légitimité du pouvoir afghan.
Dans cette nouvelle aventure guerrière, la France a le soutien des médias et de tous les va
t-en guerre qui justifient cette entrée en guerre au nom de la lutte contre « les méchants » Touaregs et les méchants djihadistes qui déstabilisent le nord Mali. En Syrie, le prétexte
mis en avant pour tenter d’obtenir une intervention militaire est celui de la chasse au dictateur Al Assad qui empêcherait le Moyen Orient de tourner en rond et serait le complice des
« méchants » iraniens et Hezbollah libanais.
C’est avec cette pression idéologique qui résume les conflits depuis 2001 entre le bien
(l’occident) porteur de liberté et le mal (le fondamentalisme islamique ou les dirigeants désignés comme dictateurs) qu’ils espèrent obtenir un consensus qui masque les vrais enjeux de ces
guerres chargées d’un fort relent néocolonialiste.
A la connaissance des ressources du sous-sol du Mali où apparaissent clairement d’une part
les immenses réserves pétrolières encore non exploitées et pour lesquelles Total est sur les rangs et d’autre part les premières mines au monde d’Uranium exploitées par le français Areva
(Nord-Niger), les dimensions économiques de cette guerre, préparée depuis plusieurs mois par les autorités françaises maintenant engagée, ne doivent pas être occultées.
Mais en prenant une telle décision, la France a pris le risque d’une escalade aux effets
catastrophiques pour les peuples de la région, comme nous venons de la constater avec les évènements algériens de ces derniers jours.
Si en Libye la guerre menée par l’OTAN et la France a conduit à la chute de Kadhafi, elle est en réalité un
véritable désastre. Plusieurs milliers de victimes civiles mortes sous les bombes pour obtenir au final l'implosion du pays en une myriade de factions locales, ethniques ou idéologiques, appuyées
sur des phalanges surarmées auxquelles l’Etat libyen post-kadhafiste n’arrive pas à imposer une force légitime. Depuis toute la région, du Sahel au Moyen-Orient, est noyée sous un afflux d'armements provenant du pillage des énormes
arsenaux libyens qui ont constitué une aubaine pour les groupes de mercenaires en recherche de fric et les rebelles fondamentalistes en recherche de conflit dans le Maghreb et au Moyen
Orient.
Leur prolifération profite de la paupérisation généralisée des couches déshéritées deux ans après les mouvements
arabes, confrontées à la récession économique et à la misère qui nourrissent les divisions. Ces pays sont aussi confrontés aux tentatives des forces occidentales de reprendre la main au travers
de ces groupes faisant du « religieux » le moyen pour s’accaparer à moindre mal le pouvoir, quitte à faire reculer les sociétés qui pourtant demandent à mieux vivre, dans
l’égalité et la démocratie.
L'impunité des djihadistes et des mercenaires est ainsi tout à fait compréhensible dans la mesure où ils sont
soit le prétexte à des opérations militaires néocoloniales comme celle de la France au Mali ou soit utilisés, soutenus, financés et armés pour faire la guerre à certains régimes afin de les
déstabiliser comme la Syrie au Moyen Orient par exemple.
Cela est du aussi à l'affaiblissement des instances de maintien de l'ordre après la chute des régimes
autoritaires, ainsi que des ambigüités des partis portés au pouvoir, issus des Frères musulmans, et favorisés en sous-main par les puissances occidentales pour combattre leurs ennemis communs
laïques.
C’est bien la démocratie qui est la première victime dont profitent les forces occidentales aux visées
néocoloniales pour maintenir sous leur domination l’exploitation des richesses de ces pays avec les multinationales qui les pillent.
Comme on le voit en Tunisie, en Egypte et en Libye notamment, ces groupes prônent aujourd'hui l'établissement
d'un Etat islamique. Boucs émissaires de ces exactions : d'abord les femmes non voilées, les universitaires et artistes, les minorités religieuses, et les adeptes de l'islam traditionnel non
radical. Les antiques mausolées de ces derniers sont aujourd'hui dynamités pour "impiété" de Tombouctou à
Sidi Bou Saïd et de Tripoli à la vallée du Nil, par des jeunes barbus fascinés par les fatwas de prédicateurs d'Arabie Saoudite et autres pétromonarchies, téléchargées sur internet.
Cette flambée salafiste a désormais atteint la contestation syrienne, où les groupes les mieux dotés en fonds
par des donateurs des Etats arabes du Golfe et de l’occident détiennent le meilleur armement et attirent les recrues, au milieu du dénuement général des populations mises hors jeu mais qui
supportent dans le sang et la douleur la pouvoir d'El Assad menacé.
Ces groupes radicaux sont ultra-minoritaires dans les populations. Pourtant ils sont survalorisés par les médias
occidentaux qui ne parlent jamais du fond : qui bénéficie de l'impact de ces groupes solidement armés, sans parler de leurs financements généreux, dérivés pervers de la rente pétrolière.
Même l'Algérie n'échappe plus au phénomène et se montre d’une extrême prudence.
La prise d'otages occidentaux, advenue à In Amenas, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière libyenne,
en rétorsion à l'autorisation de survol du territoire donnée par Alger aux avions de guerre Français pour bombarder le Mali, indique l'ampleur d'une possible escalade, préoccupante par sa gravité
et les risques d’un l’élargissement des Etats impliqués dans cette guerre..
La France a-t-elle la légitimité pour être seule et par la guerre à mener la restauration de l’autorité malienne
à la légitimité discutée dans la mesure où le pouvoir en place a été acquis suite à une coup d’Etat militaire en mai 2012 et à mettre un coup d'arrêt à la prolifération djihadiste au Sahel
? Est-ce son rôle et sa responsabilité ?
Si le France insiste à faire la guerre et à être isolée, elle prend le risque de l’escalade qui peut être
terrible et s’enliser dans une sale guerre rappelant celle de Syrie ou d’Afghanistan mais qui conduiront aux mêmes errements qui ont suivi la guerre de Libye, ou celles des Etats-Unis en Irak ou
en Afghanistan. La solitude française, dans un enjeu qui concerne l'Europe dans sa façade méridionale,
n'est pas tenable, il est urgent que l’ONU reprenne la main.
La prise d'otages d'In Amenas, parce qu'elle concerne dans leur majorité des ressortissants de pays anglo-saxons
et scandinaves, et qu'elle a lieu sur un site d'extraction d'hydrocarbures – la clef de l'insertion du monde arabe dans le système économique mondial – nous éclaire sur les défis posés et
l’urgence de la France à rentrer dans le rang et à cesser de vouloir jouer au gendarme du monde en substitution aux USA qui ont pris un certain recul suite à leurs déconvenues en Irak ou en
Afghanistan.
Pour cela, il est urgent que les Etats de l’Afrique du Nord et de l’Ouest reprennent la main dans leur continent
car ils ont la connaissance du terrain et des ramifications régionales, de l'imbrication entre le Sahel et un monde arabe où les mouvements durent, et des liens avec leurs ressortissants
expatriés en France, mobilisables pour exiger le retrait de la France.
Dans un contexte où tout conflit militaire prend instantanément un caractère à la fois global et local. La
complexité et la multiplicité d'enjeux interpénétrés fait de cette guerre au Mali une réelle menace de la paix mondiale.
Eteindre le feu, suppose à la fois une grande fermeté et une cohésion de la communauté internationale à exiger
d’abord la diplomatie, l’arrêt des opérations militaires et une maîtrise des savoirs et des connaissances sur les mondes arabe et musulman contemporains et une action économique solidaire visant
à permettre à ces pays de ne plus être pillés par les multinationales et de pouvoir vivre avec leur peuple de leurs propres ressources. Dans ces domaines, la France accuse depuis des années un
retard considérable, car prisonnière de conceptions impérialistes.
Là où les Etats-Unis, nos partenaires européens, et désormais les pays d'Asie et même du Golfe ont investi
considérablement pour développer centres d'études et de recherches, enseignements, think tanks, ont su nouer de multiples partenariats avec les sociétés civiles du monde musulman, notre pays, qui
compte pourtant le plus grand nombre d'Arabes et de musulmans en Europe occidentale, est à la traîne.
Par exemple, l'Institut du Monde Arabe, paralysé par la politique politicienne et raciste de l'Hexagone, est
passé totalement à côté de la signification des mouvements arabes – alors que, dans le même temps, ont été élus dix députés de France au Parlement tunisien. A Sciences-Po, les études sur le monde
arabe, un fleuron de l'établissement pendant le dernier quart de siècle, ont été fermées en décembre 2010, le mois où Mohammed Bouazizi s'est immolé par le feu en Tunisie. C'est désormais de
l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique que beaucoup vont quérir le savoir que l'on venait autrefois du monde entier chercher à Paris.
Ce qui se joue au Mali n'est donc pas seulement qu’une affaire militaire, la guerre n’est que le moyen de
maintenir les vieilles dominations économiques des empires coloniaux, et l'on voit que, dans les jours qui ont suivi sa survenue, la guerre a déjà fait tâche d'huile dans un grand pays
voisin.
Cela demande la mise en œuvre d'une stratégie internationale et la maîtrise d'enjeux de société complexes –
c'est un défi de civilisation à l'heure de la mondialisation, de l'interpénétration des cultures et de la circulation accélérée des idéologies, des images et des vidéos, des hommes, des biens et
des armes à travers les frontières.
C’est une tâche considérable qui relève de l’ONU. Pour la mener à bien l’ONU doit en tout premier lieu rompre
impérativement avec le rapport de 2005 qui adaptait contre la paix, la stratégie de l’ONU aux thèses de Busch, le fameux choc des civilisations, pour revenir à des concepts plus en rapport avec
sa mission fondamentale qui est de garantir la sécurité et la paix, d’assurer l’intégrité et la souveraineté de chaque Etat de la planète et d’instaurer un nouvel ordre international fondé sur le
droit au développement de chacun avec des coopérations équilibrées et mutuellement avantageuses entre Etats.
Cela nécessite de lutter contre les dominations de toutes sortes, d’avoir des positions impartiales, de lutter
contre la misère et la pauvreté à l’échelle du globe, d’imprimer un vrai développement humain durable et de refuser de transférer l’exercice de son mandat militaire à qui que se soit et en
particulier à l’OTAN qui dans cet esprit doit être dissoute.
Le Conseil de Sécurité doit être dissous et ses missions doivent relever que de la seule Assemblée
Générale.
Depuis, les peuples arabes tentent de prendre la main, aidons les à conquérir leur propre développement dans le
respect de leurs choix économiques et sociaux, de leur souveraineté et bannissons une fois pour toute cet abus d’ingérence, qui broie le droit à la souveraineté, dont le Mali et le Sahel
constituent à la fois les victimes par excellence et le lieu d’un embrasement possible de l’Afrique et de la méditerranée.
Le 19 janvier 2013