Extrait des OEUVRES COMPLETES DE M. NECKER
Publiées par M. LE BARON de STAËL
Son petit fils.
Chez TREUTTEL & WÜRTZ
Libraires rue de Bourbon, n° 17
PARIS
1821
TOME Quatorzième
COURS de MORALE RELIGIEUSE
DISCOURS IV
Sur le travail et le Jour de Repos.
(p.164-170)
Le dimanche, consacré par les chrétiens comme un jour de repos, est une atteinte aux intérêts du peuple, aux
intérêts de la classe laborieuse de la société ; on lui enlève ainsi la ressource d'un jour de travail sur sept, tandis que le produit des six autres suffit à peine à sa subsistance ?
Qui de nous n'a pas entendu cette assertion ? Nous devons la repousser comme injurieuse à l'esprit de
bienfaisance qui caractérise la religion, et notre sujet nous appelle à la discuter.
Supposons un moment que le plus grand nombre des hommes vécussent encore sous le joug de l'esclavage, on
s'apercevrait du premier coup d'oeil que l'établissement d'un jour de repos serait une institution de bienfaisance et de compassion envers la classe ouvrière et domestique de la société. Cette
classe dévouait tout son temps et toutes ses forces au patron dont elle était dépendante : ainsi le jour de repos serait devenu pour elle une faveur, et une faveur obtenue sans aucune privation,
sans aucun sacrifice ; car elle aurait joui de même de sa seule récompense quotidienne, l'étroit nécessaire.
Voyons maintenant s'il ne reste parmi nous aucune trace de cette ancienne disproportion de puissance entre les
deux classes marquantes de la société, celle qui travaille et celle qui fait travailler ; et si le jour de repos n'est pas toujours un bienfait pour le plus grand nombre des hommes.
L'abolition de l'esclavage a permis sans doute à tous les citoyens, à tous les individus, de traiter librement
de leur temps et de leur travail ; mais les marchés se ressentent de la supériorité assurée aux propriétaires.
L'homme sans patrimoine et dénué de talents particuliers, offre l'emploi de sa force en 1 échange d'un salaire ; et ce salaire devant lui procurer le moyen de pourvoir aux besoins absolus de chaque jour, il ne peut
débattre longtemps son intérêt ; et le propriétaire, seul dispensateur des subsistances, ou de l'argent qui les représente, ne requiert jamais le travail avec des motifs si instants. La lutte
n'est donc pas égale entre ces deux sortes de contractants ; elle l’est d'autant moins, que les hommes, en si grand nombre, appelés à vivre du produit journalier de leur labeur, se nuisent par
leur concurrence.
Il est résulté de ses rapports un fait constant, et dont les annales de tous les pays donnent la preuve ; c'est
que le prix d'un travail où, la force est uniquement demandée, se proportionne à l'équivalent du nécessaire absolu.
Le jour de repos et donc une institution consacrée en entier au soulagement des hommes de peine ; car leur
salaire a été fixé sur la valeur de leur nécessaire pendant sept jours, quoiqu'ils n'en donnassent que six au travail.
Que ce jour de repos n'existât plus, ils croiront peut-être avoir obtenu le pouvoir d'augmenter leur revenu d'un
septième en travaillant sept jours au lieu de six, et leur espérance se réaliserait même dans les commencements ; mais insensiblement le prix des salaires s'adapterait à ce changement, et ils
auraient alors pour sept jours de travail la même récompense qu'ils avaient pour six auparavant. Le niveau se rétablir et par effet graduel de la même puissance qui a proportionné partout le prix
du labeur à l'équivalent du nécessaire absolu. Et je parle toujours des travaux ordinaires, et qu'aucun talent ne rend précieux.
C'est avec peine que nous offrons à votre méditation des raisonnements abstraits ; mais nous ne pouvions
démontrer, par aucun autre moyen, la parfaite sagesse de la seconde partie du commandement que nous avons pris pour ce texte : « Tu ne feras aucune oeuvre en ce jour là ».
Une autre vérité, c'est que le plus grand nombre des hommes aurait excédé ses forces, si le jour de repos ne
l’eût pas obligé à suspendre son travail. Et cette réflexion nous invite à solliciter encore un moment votre attention.
L'institution du jour de repos, comme nous venons de l'expliquer, est uniquement destiné au soulagement de la
classe laborieuse de la société : mais il fallait pour rendre durable disposition si bienfaisante, qu'elle fut observée universellement ; car, en supposant qu'une partie seulement des ouvriers
eût voulu travailler, eût travaillé sept jours de la semaine, ces ouvriers se seraient procurés ainsi le moyen de céder leur temps à plus bas prix, et ils auraient forcé tous leurs concurrents à
suivre le même exemple.
Cependant l'autorité civile, qui n'atteint point aux actes secrets, n'aurait pu rendre universelle et constante
l'observation du jour de repos ; et probablement encore, il y aurait mis peu d'intérêt, puisque le rapport d'une telle institution avec le soulagement de la classe laborieuse de la société, n'est
pas une vérité simple et d'une facile conception. 2
Il importait donc au bonheur du peuple, que son jour de repos fut consacré par la religion, qu'il fut placé sous
cette auguste sauvegarde1. Et il importait encore à l'État que le peuple, considérant ce jour de repos
comme une institution sainte, fut ainsi rappelé, par sa reconnaissance, à un sentiment de respect pour la religion, à un sentiment conservateur de l'ordre et de la morale.
Les gouvernements sacrifient les plus grandes considérations aux plus petites, lorsque, cédant à un esprit de
jalousie, ils cherchent à rabaisser l'autorité de la religion, et à lui enlever des hommages ; car tous les commandements qui émanent de cette autorité sont essentiels à la société ; tous ont un
rapport plus ou moins frappant avec la félicitée publique.
Ô religion ! Véritable ami des hommes, que votre science est grande ! Que votre sagesse est excellente pour nous
! Vos enseignements, qui descendent du ciel, répondent à leur origine ; ils remplissent d'admiration les esprits réfléchis, et ils émeuvent les âmes sensibles. Tous éclairent notre esprit, tous
nous apprennent à connaître notre commisération envers les hommes. Nous n'en rejetterons aucun, et « six jours nous feront tout notre oeuvre » ; nous la ferons avec courage et avec vertu ; nous
la ferons sans nuire aux autres, et le septième nous célébrerons ce repos que les lois divines ont sanctifié et qui nous rappelle une des charités de la religion.
Nous n'empêcherons jamais l'homme de travail de profiter d'une institution si bienfaisante ; et s'il
n'en ignorait, s’il en oubliait le prix, loin de profiter de son erreur pour exiger de lui tout ce qu'il peut donner ; nous veillerons en généreux tuteurs à ses véritables intérêts, et nous lui
apprendrions qu'il est l'objet particulier de ces paroles de compassion et de bonté : « Tu travailleras six jours, et tu feras toute ton oeuvre ; mais le septième et le repos de l'Éternel ton
Dieu, tu ne feras aucune oeuvre en ce jour-là ». (Exode, Chap. 20 § 9 & 10).
Sources :
http://books.google.fr/books?id=FCYjNY8Bt5UC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
1 On a mis beaucoup d'activités, beaucoup de suite en France à la constitution du "Décadi" en jours de repos ;
mais c'était pour attaquer le dimanche et pour en triompher : et si l'on parvient à remplir entièrement ce dernier but, on peut craindre que le gouvernement ne devienne par degrés différents à la
cessation des travaux tous les dix jours.
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