"Assistanat" : les mauvais exemples de Laurent Wauquiez
Un article du Monde
Après l'offensive identitaire lancée par la majorité au début de l'année, certains annoncaient l'ouverture d'un front "social", visant l'assistanat.
Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes et animateur du groupe La Droite sociale, s'est exprimé
dimanche 8 mai sur cette thématique, en stigmatisant "les dérives de l'assistanat", qu'il a qualifiées de "cancer de la socété française".
Selon M. Wauquiez en effet, "aujourd'hui, un couple qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minima sociaux, peut
gagner plus qu'un couple dans lequel il y a une personne qui travaille au smic, a-t-il avancé. Ça c'est la société française qui tourne à l'envers."
Pour lutter contre ce "cancer", Laurent Wauquiez propose deux mesures : plafonner l'ensemble des minima sociaux à 75 % du smic et obliger
les bénéficiaires du RSA à effectuer 5 heures hebdomadaires de travaux de "service social". Pourtant, le constat comme les propositions du ministre paraissent discutables.
Décryptage.
Un couple au RSA gagne moins qu'un couple avec un smic. L'exemple de M. Wauquiez constitue une affirmation forte... mais
fausse. En 2011, un couple sans enfants touche 700 euros de RSA environ s'il ne travaille pas. Mais il
ne les cumule pas avec d'autres aides : le principe du RSA est qu'il correspond à un forfait. Si le couple est éligible à l'aide au logement (APL), on retirera de son RSA un forfait de 109,11
euros, en échange de cette aide (une personne seule perdrait 54,56 €).
De son côté, le couple avec un seul revenu au smic, en 2011, touche 1 070,11 euros. Il gagne donc a priori plus que le couple assujetti au RSA.
Ajoutons que ce couple avec un seul revenu au Smic est lui aussi éligible à l'aide au logement, qu'il peut cumuler avec un salaire. L'équation de M. Wauquiez est donc quelque peu faussée.
Même avec des enfants, un couple au smic gagne plus. Le nombre d'enfants ne change pas la donne. Comme l'explique Alice Brassens, responsable du revenu de solidarité active et des politiques territoriales au sein l'ANSA (Agence
nouvelle des solidarités actives), créée par le gouvernement pour mettre en place cette mesure, "le RSA est familialisé, il est calculé en fonction des ressources du foyer, sur le principe
d'un différentiel de revenus", précise-t-elle. En clair, il est majoré en fonction de la situation familiale, mais ses bénéficiaires n'ont pas droit à d'autres allocations
familiales.
Un couple avec un enfant perçoit ainsi, selon le barême
des allocations familiales, 840,59 euros de RSA. Avec deux enfants, la somme monte à 980,56 euros. On compte ensuite 186,80 euros par enfant supplémentaire. Un couple au RSA avec trois
enfants perçoit donc 1 167,36 euros, soit effectivement 97 euros de plus qu'un couple sans enfants dans lequel une seule personne travaille et perçoit le smic.
Mais à taille de foyer équivalente, l'exemple ne tient plus : un couple avec trois enfants, dont un seul des deux parents travaille et touche le
smic a lui droit à différentes prestations, notamment les allocations familiales. Celles-ci atteindraient un montant de 178,84 euros pour un enfant et 286,94 euros pour trois enfants.
Un couple avec un seul smic et trois enfants gagne donc dans tous les cas davantage (1 357 euros) qu'une famille de même taille au RSA (1 167,36
euros). Et peut en outre cumuler une aide au logement, ce que les allocataires du RSA ne peuvent faire. Ajoutons qu'à partir de quatre enfants, ce même couple pourrait.... obtenir une aide au
titre du RSA. Justement au nom du principe selon lequel ceux qui touchent le RSA sans travailler ne doivent pas a priori toucher plus que ceux qui travaillent.
Des "droits connexes" difficiles à évaluer. Par son exemple, M. Wauquiez pense peut-être à ce que les spécialistes appellent
"droits connexes", des aides spécifiques pour les plus pauvres : couverture maladie universelle (CMU), aides spécifiques versées par les départements ou les régions (transports aidés, garde
d'enfants...) ou encore tarifs sociaux d'électricité, par exemple.
Ces aides sont effectivement versées aux bénéficiaires du RSA et pas systématiquement aux smicards, encore que le critère pris en compte soit
essentiellement celui du revenu et pas du statut.
En prenant un cas concret, celui de la CMU, celle-ci ne dépend pas d'un statut mais d'un plafond de ressources. A 1 070 euros net par mois, le couple
vivant avec un seul smic aurait ainsi droit à celle-ci s'il a deux enfants. Ce couple pourrait également bénéficier du tarif social de l'énergie, puisqu'il est accessible aux personnes
bénéficiant de la CMU.
Nombre de ces aides, territorialisées et spécifiques, sont difficiles à évaluer sur l'ensemble du pays. "La réforme n'est pas complète,
reconnaît Alice Brassens. Nous sommes en train d'étudier ces droits connexes pour mieux les intégrer dans le calcul du RSA."
Plafonner les aides à 75 % du smic reviendrait à les diminuer. Laurent Wauquiez propose de "plafonner le cumul de tous les
minima sociaux à 75 % du smic, pas plus". Soit 802, 58 euros. Une somme inférieure à ce que perçoit un couple avec un enfant touchant le RSA sans travailler. A partir de deux enfants et
au-delà, ce plafonnement reviendrait donc à diminuer fortement les prestations sociales versées.
En mars 2011, le RSA, instauré en 2009, a été versé à 1,8 million de personnes. La majorité des bénéficiaires (1,15 million) n'avait pas d'activité
et touchait ce qu'on nomme un "RSA socle" (446 euros pour une personne seule, 700 pour un couple).
Mais 446 000 personnes gagnant un faible salaire ont touché une compensation du RSA. Contrairement au RMI, qu'il remplace, le RSA est en effet
cumulable avec une activité, dans une certaine mesure. "La philosophie du RSA, précise Alice Brassens, c'est de gagner plus si l'on travaille que si l'on n'a pas
d'activité."
Plafonner les aides irait potentiellement à l'encontre de la philosophie du RSA, qui permet justement de travailler partiellement pour toucher un
complément de revenu sans perdre son allocation, afin d'éviter les effets de seuil.
L'activité obligatoire risque d'entraîner des effets pervers. Autre proposition du ministre, instaurer "chaque semaine cinq
heures de service social" obligatoire en contrepartie du RSA. Outre le fait que 446 000 bénéficiaires de cette allocation travaillent, cette proposition présente un certain nombre de
risques, précise Alice Brassens : "C'est illogique : le RSA implique déjà l'obligation de suivre un parcours d'insertion, sous peine de radiation."
De plus, souligne la responsable, les travaux proposés par le ministre, qu'il s'agisse de "l'accueil de service public" ou de la
surveillance des sorties d'école, sont déjà des postes en contrats aidés, justement proposés à des publics en réinsertion.
Remplacer ces personnes – généralement rémunérées sur des contrats d'une vingtaine d'heures – par des allocataires du RSA, risquerait de précipiter
ces publics vers la désinsertion. Et éventuellement de les voir grossir les rangs des allocataires du revenu de solidarité active.
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